Psychiatrie, le Carrefour des Impasses (21)

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Au-delà de la polémique entre partisans et détracteurs de la psychanalyse, de nouveaux axes de recherche sur le psychisme humain.

          Le livre de Michel Onfray sur Freud, « Le Crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne » (Grasset) et les réactions d’Élisabeth Rudinesco ont engendré une polémique sur Freud en particulier, et la psychanalyse en général, entre anti et pro freudiens. Mon propos n’est pas de prendre parti pour ou contre qui que ce soit, mais de considérer les conséquences de ce débat, qui me semblent fondamentales au niveau humain.

          La question de la validité de Freud ne me parait pas limitée à des questions académiques et débats d’initiés entre spécialistes ou entre partisans et détracteurs de Freud et de la psychanalyse. Elle s’étend à notre vision du psychisme humain, autrement dit, à notre vision de l’homme, de nous-mêmes, et du monde aujourd’hui.

          Comment aller au-delà de cette polémique, tenter de mettre de l’ordre et avancer dans cette question ? C’est ce que nous allons tenter de faire ici, avec le recul de quelques années.

1. Présentation du cartographe

           » Une carte nécessite un cartographe et un terrain. Tout ce que l’homme peut connaître est un phénomène dû conjointement à l’observateur et à ce qu’il observe. Pour être complète, une carte devrait représenter une « carte de la carte » ainsi que le cartographe, la carte et le cartographe faisant partie du terrain au moment où la carte est dressée. » Alfred Korzybski

          Une présentation honnête implique de savoir qui dit quoi et sur quoi il se base pour fonder son propos. En ce qui me concerne, je parle ici en tant qu’infirmière de secteur psychiatrique, formée à la fin des années soixante-dix, à une époque où la psychanalyse constituait une des grilles de référence des psychiatres hospitaliers qui ont été mes professeurs, et dont certains étaient eux-mêmes en analyse. Ils s’inspiraient également de la psychothérapie institutionnelle pratiquée à la clinique de La Borde à La Cour Cheverny. J’ai ensuite travaillé quinze ans en psychiatrie publique, puis, suite à la réduction des effectifs et à la dégradation de la qualité des soins et du travail, j’ai démissionné de la fonction publique en 1991. J’ai recommencé à travailler en 2000, en Belgique puis en France. Tout en continuant à faire des remplacements infirmiers, j’ai travaillé comme psychothérapeute en libéral (2003-2016).

          Dans le contexte des années soixante-dix, la psychiatrie que j’ai découverte était profondément humaniste. Les médecins et les équipes soignantes qui l’exerçaient témoignaient, avant toute considération théorique, d’un respect des patients: ceux-ci étaient consultés sur les effets de leurs traitements, informés des médicaments qu’ils prenaient. L’hôpital était un lieu de soin, mais également un lieu de vie.

          La grille freudienne était, et est toujours, la référence officielle de la nosographie psychiatrique. En commençant mes études d’infirmière psy, je connaissais de Freud ce que j’en avais étudié en philo, et les livres que j’avais lus de lui dans ce contexte (« Introduction à la psychanalyse« , « Totem et Tabous » et « Moise et le Monothéisme« ).

2. Une première approche non psychiatrique de la folie

          Toutefois ma première approche de la folie ne s’est pas située dans le milieu psychiatrique, mais en Inde, où Jean-Louis, mon mari, et moi-même avons voyagé en 1974 et 1975, et dont nous avons fait le tour en camion-stop, avec des routiers sikhs.

          Un jour, lors d’un arrêt dans un relais pour routiers, une cabane en bois qui n’offrait que du thé et des petits gâteaux, une vieille femme en haillons qui était assise dans un coin de la cabane en bois se lève et commence à insulter copieusement et violemment les clients, passant de table en table. Arrivée à la nôtre, vient le tour de mon mari, Jean-Louis, qui en prend pour son grade; j’appréhende intérieurement l’orage qui va me tomber dessus, mais elle m’ignore et va invectiver le client de la table suivante. A notre grand étonnement, autant le patron que les clients restent de marbre, faisant comme si de rien n’était. Le routier qui se trouvait assis derrière nous se lève et vient nous dire de rester calmes et de ne pas avoir peur: cette femme, qui n’a plus toute sa tête, en veut à tous les hommes depuis que son mari l’a abandonnée: elle les identifie tous à son mari et s’en prend à eux à la place de ce dernier. Il nous explique ensuite qu’en Inde, les fous sont considérés comme des gens sacrés qui relient le ciel et la terre, et ont une fonction spirituelle, en échange de quoi la population est chargée de subvenir à leurs besoins matériels (nourriture, hébergement), considérant les aspects fantasques et non conventionnels de leur comportement comme des occasions de s’entraîner à la patience afin de pouvoir accéder au nirvana . En conséquence, le patron du relais héberge cette femme et subvient à sa nourriture, avec l’aide des consommateurs, indépendamment de leurs religions respectives. Il y avait là des routiers sikhs, mais également des hindous, des chrétiens et des musulmans. Durant cette explication, nous constatons que non seulement les clients acceptent sans broncher de se faire insulter, mais qu’en partant, ils laissent par-dessus le marché, en plus du prix de leur consommation, de l’argent pour l’entretien de cette femme. Inimaginable en Occident où le comportement de celle-ci aurait donné lieu à l’intervention de la police dans les minutes suivantes et se serait terminé par un internement en psychiatrie! Autre civilisation, autre vision de l’homme et du monde, autre conception de la folie et autre sensibilité sociale à celle-ci.

          Je dois dire que, même si au premier abord, la scène que j’observais à ce niveau était pour moi très étonnante, le résultat pratique sur le plan humain et social me semblait satisfaisant pour tout le monde. Dans un tel contexte, nos termes de maladie mentale, de psychiatrie, nos notions de psychose et de névrose, ainsi que notre carte du psychisme humain, sont dépourvus de sens et n’ont pas lieu d’être.

          Or, comparée à cette conception de la folie, la psychiatrie dans le cadre de laquelle j’ai travaillé, en dépit de son humanisme, reposait sur une mise à l’écart des fous hors du champ social, et sur une vision de la folie sous l’angle unique de la pathologie. Les expériences qui ont été réalisées pour rompre avec cette mise à l’écart, que ce soit à travers l’anti-psychiatrie de Laing et Cooper, ou la psychothérapie institutionnelle, sont restées marginales, malgré leurs avancées sur le plan humain, et, dans le contexte psychiatrique présent, trente ans après la disparition des études d’infirmiers en psychiatrie, elles ne sont plus enseignées et ont été effacées de la plupart des mémoires.

3. Histoire de la folie

          Les notions de maladie mentale et de santé mentale, les seules à travers lesquelles nous appréhendons la folie de nos jours, sont récentes, y compris dans notre civilisation.

« Il m’a semblé que la folie était un phénomène de civilisation aussi variable, aussi flottant que n’importe quel autre phénomène de culture, et c’est au fond en lisant des livres américains sur la manière dont certaines populations primitives réagissent au phénomène de la folie que je me suis demandé s’il ne serait pas intéressant de voir comment notre propre culture réagit à ce phénomène.

Il y a des civilisations qui l’ont célébrée, d’autres qui l’ont tenue à l’écart; il y en a d’autres qui l’ont soignée, mais ce sur quoi je voulais insister c’est précisément sur le fait que soigner le fou n’est pas la seule réaction possible au phénomène de la folie. Je crois que parmi les fous il y a des gens aussi intéressants que chez les normaux et également autant qui sont inintéressants. Il n’y a pas de culture sans folie et c’est ce problème absolument général des rapports d’une culture avec la folie que j’ai voulu étudier sur un cas précis, c’est-à-dire sur les réactions de la culture classique à ce phénomène qui paraît si opposé au rationalisme du dix-septième siècle et du dix-huitième siècle et qui est la folie.

Je crois que le dix-septième siècle représente précisément un tournant: avant le dix-septième, en tout cas jusqu’au début du dix-septième, jusqu’à l’âge baroque à peu près, le fou a une existence entièrement libre. Il était en quelque sorte à la surface de la culture et il y vivait d’une présence extraordinairement visible. Il y avait des fêtes des fous, il y avait tout un théâtre consacré à la folie, le fou lui-même avait une place dans la littérature, il y avait une iconographie de la folie, c’est Jérôme Bosch, c’est Bruegel également; bref, on peut dire que le seizième siècle et le début du dix-septième siècle ont été surplombés par le thème de la folie comme la fin du seizième et le début du quinzième l’avaient été par la hantise de la mort. A ce moment-là, la folie était un phénomène tellement institutionnel et reconnu que certains fous, et l’un d’entre eux en particulier qui s’appelait Bluet d’Arbères, ont publié leurs œuvres, ou plutôt des gens ont publié pour eux des textes tout à fait extraordinaires, absolument illisibles d’ailleurs, et qui servaient de distractions. C’étaient des poèmes, c’étaient des histoires, c’étaient des romans et au fond jusqu’à un certain point, le Don Quichotte de Cervantès peut s’inscrire dans toute cette grande tradition de la littérature de la folie ou de la littérature sur la folie.

Et je crois que toutes les familles ont toujours été de tous temps très ennuyées d’avoir des fous. Chaque village, chaque quartier, les villes, avaient leurs fous qui étaient entretenus, qui étaient soignés, qui étaient jusqu’à un certain point honorés. Mais justement je crois que ce qui a commencé à faire changer le statut du fou, c’est à partir du moment où la famille sous sa forme bourgeoise a pris dans la société une grande importance.

Et c’est au dix-septième siècle, quand les normes économiques de la vie ont changé, à l’époque du mercantilisme, que le fou, personnage oisif, personnage qui dépensait de l’argent et qui ne rapportait rien, le fou est devenu terriblement encombrant. Et la sensibilité sociale à la folie a changé en fonction, me semble-t-il, de ces phénomènes économiques.

A notre époque, notre culture est une culture dans laquelle tout le phénomène de la folie a été confisqué par la médecine. Pour nous, un fou c’est un malade mental. Or cela n’a pas été vrai de tous temps. Le fou, au dix-septième et au dix-huitième siècles, n’était pas un malade mental, c’était avant tout un asocial. On enfermait les fous avec d’ailleurs bien d’autres asociaux dans des sortes d’asiles. C’étaient les hôpitaux généraux en France et là, on les faisait travailler. On les faisait travailler à de grandes entreprises, à des manufactures où on leur faisait fabriquer par exemple de la toile, de la corde, etc. et ils avaient un rôle réel dans la vie économique. Cela a changé, là encore, pour beaucoup de raisons; avant tout, je crois pour des raisons économiques, quand on s’est aperçu que ces grandes institutions où l’on enfermait les fous avec tous les oisifs, tous les pauvres, tous les mendiants, tous les vagabonds, avec les libertins, les homosexuels, avec les prostituées, etc., quand on s’est aperçu que ces vastes institutions ne correspondaient au fond à aucune utilité véritable. On s’est aperçu qu’elles coûtaient de l’argent, qu’elles retiraient de la circulation une main d’œuvre qui était utilisable, alors à partir de ce moment-là on a supprimé toutes ces institutions, ou plutôt on en a chassé tous ceux qui n’étaient pas fous. Et maintenant les fous occupent les asiles, c’est-à-dire qu’ils sont maintenant les seuls à résider dans ces lieux d’internement qui avaient été aménagés pour bien d’autres aux dix-septième et au dix-huitième.

Je crois qu’actuellement il y a un phénomène très important qui se passe depuis Nietzsche, depuis Raymond Roussel, depuis Van Gogh, depuis Artaud surtout, la folie est redevenue ou commence à redevenir ce qu’elle était aux quinzième et au seizième siècles, c’est-à-dire un phénomène de civilisation extraordinairement important. Et, de même que la folie avait été au seizième siècle, début du dix-septième siècle, chargée de porter en quelque sorte la vérité, de l’exprimer dramatiquement, eh bien il semble que maintenant la folie retrouve un petit peu de cette mission, et qu’après tout, une part de la vérité contemporaine, de la vérité de la culture contemporaine, a été proférée par des gens qui étaient à la limite de la folie ou qui faisaient de la folie l’expérience la plus profonde comme Roussel, Artaud. »

 (Michel Foucault, entretien avec Nicole Brice, 31 mai 1961, radio diffusé sur France Culture).

          Le livre du Docteur Cabanes, Mœurs intimes du passé, troisième série [1]  contient de nombreuses informations sur les conceptions de la folie du Moyen Âge au XVIIème siècle.‎

4. Une remise en question de la nosographie psychiatrique

           La remise en question du travail de Freud par Michel Onfray ne concerne pas seulement la psychanalyse: elle s’étend à toute la nosographie psychiatrique officielle, y compris au DSM (Diagnostic and Statistical Manual) de l’Association Américaine de Psychiatrie qui constitue la classification officielle en matière de pathologies mentales.

                a) Postulats de la nosographie psychiatrique

          Le domaine de la santé est encore structuré selon la perspective classique, cartésienne, qui considère l’homme en isolant d’un côté le psychisme, d’un autre le corps, et d’un autre encore le milieu dans lequel il vit. Selon cette conception, il y aurait « soit » des maladies du corps, qui relèvent de la médecine somatique, « soit » des maladies mentales qui relèvent de la psychiatrie, ces maladies étant considérées comme inhérentes aux gens qui en souffrent, l’influence du milieu dans lequel ils vivent étant généralement négligée.

          Le savoir psychiatrique est un domaine extrêmement vaste, qui comprend de nombreux courants, de nombreuses théories qu’il serait trop long d’énumérer ici, c’est pourquoi le terme « nosographie psychiatrique » se réfère à la conception officielle, à la grille en usage dans la psychiatrie publique exercée dans les hôpitaux de l’État. Cette grille, élaborée par Freud à la fin du siècle dernier, y fait toujours autorité.

La classification élémentaire de la psychiatrie clinique scinde les maladies mentales en deux grands groupes: les névroses et les psychoses.

  • les névroses surgiraient des conflits entre les pulsions instinctuelles et les interdits socio-culturels. Ces conflits seraient de nature sexuelle et trouveraient leur source dans l’enfance. Le refoulement de ces pulsions sexuelles engendrerait un sentiment de culpabilité qui s’exprimerait à travers divers symptômes dont l’angoisse. Freud a décrit ces symptômes et distingué un certain nombre de sortes de névroses (obsessionnelle, phobique, hystérique, etc…). La personne atteinte de névrose en souffre, elle est consciente de ses troubles mais ceux-ci n’altèrent pas en principe le contact avec la réalité et ne sont pas incompatibles avec la vie sociale. L’origine du traumatisme se situerait dans l’enfance vers trois à cinq ans, aux alentours du complexe d’Œdipe, décrit également par Freud. Les névroses reposeraient sur une problématique de culpabilité.
  •  les psychoses seraient dues à un traumatisme infantile antérieur au complexe d’Œdipe, avant trois ans. Le point commun des psychoses est le délire, c’est-à-dire « un état d’un malade qui émet des idées fausses, en totale opposition avec la réalité ou l’évidence, généralement centrées sur un thème personnel. » L’O.M.S. définit le psychotique comme quelqu’un « dont le fonctionnement mental est altéré au point qu’il n’est plus capable de faire face aux exigences de la vie en société ni de maintenir le contact avec la réalité. » La personne délirante n’est pas censée être consciente de son trouble. Elle peut avoir des hallucinations, auditives ou visuelles. Certaines personnes sont dites délirantes sans pour autant avoir d’hallucination. Une hallucination est toujours considérée comme un phénomène délirant.

          Certaines psychoses sont dites aiguës, survenant brutalement pour disparaître au bout de quelques semaines (bouffées délirantes), d’autres sont dites chroniques, c’est-à-dire qu’une fois apparues, elles peuvent durer des années, sinon toute la vie. Certaines psychoses aiguës peuvent se transformer en psychoses chroniques.

          Les psychoses, comparativement aux névroses, sont considérées comme des maladies graves. Elles reposent sur une problématique existentielle.

  • à côté des psychoses et des névroses proprement dites, cette classification parle également de « structure de personnalité névrotique ou psychotique » chez des personnes dont certains traits de caractère rappellent celles des névroses ou des psychoses, sans qu’elles soient obligatoirement amenées à consulter un psychiatre. Il peut également exister des symptômes névrotiques chez une personnalité psychotique et réciproquement. Tout ceci est extrêmement complexe, mais en résumé, selon cette théorie, il n’existe pas d’être humain dépourvu de trait de personnalité névrotique ou psychotique, car, selon Freud, « il n’existe pas de différence fondamentale entre l’individu réputé normal et le névrosé« . Par voie de conséquence, tout être humain est considéré à priori comme étant « soit » névrosé, « soit » psychotique.

          Ainsi, la nosographie psychiatrique repose sur les trois postulats suivants:

1) Les névroses reposent sur une problématique de culpabilité,

2) Les psychoses reposent sur une problématique existentielle,

3) Tout individu est soit névrosé, soit psychotique.

          En fonction de ces postulats, si tant de gens sont si angoissés, c’est bien entendu parce qu’ils sont malades. Mais, s’ils sont malades, ne peut-on les guérir ? Les guérir! s’écrient les hommes de l’art, mais nous ne sommes pas là pour guérir les gens, car en psychiatrie, la guérison n’existe pas, on se contente de les soigner. Quel est alors le but des soins, s’ils ne visent pas à les guérir ? Il consiste à leur faire reconnaître l’existence de leurs troubles, à leur faire rechercher en eux les sources de leur maladie, et à leur faire accepter le fait qu’ils sont soit névrosés, soit psychotiques.

          Mais en ce qui concerne ces problématiques, sur quoi reposent-elles ?

          Dans le cas des névroses, de quoi tous ces gens se sentent-ils coupables ? Pourquoi y a-t-il conflit entre leurs pulsions sexuelles et les interdits socio-culturels ?

                b) Postulats de la grille freudienne

          C’est à partir de Freud, qui considérait la sexualité comme « digne d’objet d’étude », et à travers la diffusion de la psychanalyse, qu’est apparu en Occident le premier discours sur ce domaine, celui-ci étant auparavant considéré comme tabou, lié à un interdit. Ainsi Freud a été le premier à dresser une carte des divers comportements sexuels, en les définissant et en les classant à partir de critères de « normal » et de « pathologique »: « Introduction à la Psychanalyse », Payot, p. 287: « Tant que nous n’aurons pas compris ces formes morbides de la sexualité, tant que nous n’aurons pas établi leurs rapports avec la vie sexuelle normale, il nous sera également impossible de comprendre cette dernière. Bref nous nous trouvons devant une tâche théorique urgente qui consiste à rendre compte des perversions dont nous avons parlé et de leurs rapports avec la sexualité dite normale« .

          Comment définit-il la « sexualité dite normale » ? « L’acte sexuel normal est l’acte sexuel qui vise à obtenir l’orgasme par pénétration génitale avec une personne de sexe opposé. » p. 299: « Ce que l’on appelle la vie sexuelle normale en dehors de la psychanalyse est une sexualité tout à fait restreinte, une sexualité mise au service de la seule procréation.« 

          Qu’entend-il exactement par « pervers » ? « Ce qui caractérise les perversions, c’est qu’elles méconnaissent le but essentiel de la sexualité, c’est-à-dire la procréation. Nous qualifions en effet de perverse toute activité sexuelle qui, ayant renoncé à la procréation, recherche le plaisir comme un but indépendant de celle-ci…. tout ce qui sert à procurer uniquement de la jouissance reçoit la dénomination peu recommandable de « pervers » et est, comme tel, voué au mépris.« 

          Autrement dit, est perverse toute personne qui se livre à une activité sexuelle quelle qu’elle soit dans une autre intention que celle de procréer, en d’autres termes, au niveau des faits, tout le monde. Voilà pourquoi « il n’existe pas de différence fondamentale entre l’individu réputé normal et le névrosé. »

          Sur cette base il a ensuite décrit une nosographie établie sur une liste des perversions qui n’existait pas avant lui et séparé les maladies mentales en deux grands groupes, les névroses et les psychoses. Il en découle que selon cette conception, tout être humain quel qu’il soit peut être considéré comme pervers de nature, ce que Freud a fait en faisant remonter la source de la perversion à l’enfance, définissant l’enfant comme un « pervers polymorphe ».

          Les postulats fondamentaux de cette théorie des perversions sont:

    • la limitation de la sexualité a la procréation,
    • l’identification du plaisir sexuel à une perversion,
    • l’être humain est pathologique de nature, tout individu est soit névrosé, soit psychotique, il n’existe pas d’être humain mentalement sain.

          En conséquence, toute la théorie freudienne des névroses est fondée sur le postulat que le plaisir sexuel ne se justifie que dans le but de perpétuer l’espèce et que, hors de ce cadre, il est pervers, « voué au mépris », associé à la réprobation, du domaine de l’interdit. A l’opposé, la sexualité dite « normale », uniquement destinée à la reproduction, est admise. La problématique de culpabilité repose donc sur la culpabilisation du plaisir sexuel, cette culpabilisation reposant sur le postulat que la sexualité hors du cadre de la reproduction est perverse, donc pathologique, et qu’en conséquence la nature humaine, de par le fait qu’elle est dotée d’un organisme capable d’une part, d’avoir des rapports sexuels indépendamment du fait de procréer et d’autre part, d’accéder au plaisir indépendamment des rapports sexuels, est perverse par essence.

          Comment justifie-t-il le bien fondé des « interdits socio-culturels » ? « Introduction… » p. 291: « Au point de vue de l’éducation, la société considère comme une de ses tâches essentielles de refréner l’instinct sexuel lorsqu’il se manifeste comme besoin de procréation, de le limiter, de le soumettre à une volonté individuelle se pliant à la contrainte sociale. La société est également intéressée à ce que le développement complet du besoin sexuel soit retardé… la sexualité, si elle se manifestait de façon trop précoce, romprait toutes les barrières et emporterait tous les résultats si péniblement acquis par la culture… Ne possédant pas assez de moyens de subsistance pour permettre à tous ses membres de vivre sans travailler, la société est obligée de limiter le nombre de ses membres et de détourner leur énergie de l’activité sexuelle vers le travail.« 

          Or « limiter la procréation » avait peut-être un sens en Occident du temps de Freud, mais de nos jours, plusieurs décennies après l’apparition de la contraception, la question ne se pose plus en ces termes, du moins dans les pays industrialisés. Qui plus est, Freud a élaboré sa grille à partir de l’observation de ses patients, issus de la bourgeoise viennoise, et de sa propre conception, laquelle correspondait aux critères de pensée du XIXème siècle. Or la bourgeoisie viennoise d’il y a cent ans n’est pas transposable à la société française actuelle, de même que les conceptions de l’homme et du monde en vigueur à cette époque ne correspondent plus à celles d’aujourd’hui. Quant aux critères de scientificité en vigueur à l’époque de Freud, ceux du rationalisme cartésien, ils sont de nos jours dépassés depuis les découvertes du XXème siècle en mathématique et en physique (mécanique quantique, théorie de la relativité).

                c) Culpabilisation du plaisir sexuel: du dogme du péché originel à la théorie des névroses

          Comment se fait-il alors qu’une institution officielle telle que la psychiatrie, qui tire sa légitimité de la scientificité dont elle se pare, puisse se réclamer encore de telles théories ? A partir de quoi Freud s’est-il permis de taxer le « perverse » la recherche du plaisir sexuel ? En vertu de quels postulats et de quel droit intervient-il ainsi dans la vie privée des gens, et s’autorise-t-il à considérer l’ensemble de ses contemporains comme un vaste réservoir de patients potentiels ?

          Freud a érigé sa théorie en fonction des critères d’évaluation et de la conception de l’homme de la civilisation dont il était issu, sans avoir pour autant conscience des postulats qui la sous-tendaient. Ce faisant, il a structuré sa théorie à partir des postulats de cette conception, transposant dans celle-ci la morale et les dogmes religieux qui lui avaient été inculqués, et plus particulièrement ceux qui avaient trait à la sexualité. Ainsi, quoi que se plaçant dans une démarche scientifique en fonction des données de l’époque, il a calqué sa théorie des névroses sur le dogme du péché originel selon lequel tout homme serait coupable, dès sa naissance, du péché d’Adam et Eve, péché qui résiderait dans le fait d’être sexué. Il a établi une classification des névroses et des psychoses comparable à celle des péchés véniels et mortels établie avant lui par les théologiens, remplaçant la notion de l’homme pêcheur par celle de l’homme névrosé. Toutefois, dans la mesure où, en tant que scientifique, il se plaçait dans le paradigme rationaliste qui opposait les sciences et les religions, il a substitué la notion religieuse de péché par celle, plus scientifique, de pathologie, interdisant, au nom des « résultats acquis par la culture », ce que d’autres avant lui avaient proscrit au nom de Dieu. Dans un cas comme dans l’autre, c’est de culpabilisation d’une fonction de l’organisme humain dont il est question, et à travers cette culpabilisation, d’infériorisation de la personne humaine.

          Sa conception de la sexualité normale limitée à la reproduction, similaire à la conception officielle de la sexualité des animaux, repose sur la vision animalière de l’homme datant d’Aristote, qui définissait l’homme comme « un animal doué de raison, composé d’un corps et d’une âme ». Cette fausse identification de l’homme à l’animal l’a conduit à étiqueter de pathologiques au niveau sexuel des spécificités de l’organisme humain, inhérentes à celui-ci.

          Or de nos jours les espèces minérales, végétales, animales et humaines sont bien différenciées, et enseignées dès l’école primaire en CP: nous avons été habitués culturellement à cette identification antique de l’homme à l’animal, mais elle est tout aussi absurde que si nous identifiions les animaux aux plantes, et les définissions comme « des plantes qui se déplacent », ou les végétaux aux minéraux, en les définissant comme « des minéraux qui poussent », ce qui ne viendrait bien évidemment à l’idée de personne.

          Ne serait-ce qu’au niveau de la loi, si celle-ci m’autorise à tordre le coup de ma poule pour la manger, elle m’interdit de faire de même avec mon voisin.

                d) Mise au point sur quelques concepts freudiens

  • Concernant le montant des honoraires demandés par les psys de toutes sortes, la décision de les réglementer suffirait à assainir le créneau: pourquoi les rémunérations d’un analyste ou d’un thérapeute seraient-elles plus élevés que celles d’un médecin ? Et pourquoi les entretiens psychothérapiques ne seraient-ils pas remboursés ? Le postulat des analystes selon lequel le patient doit payer pour que la thérapie soit efficace est invalidé par la psychiatrie hospitalière et les entretiens psychothérapiques en CMP (centres médico-psychologiques), qui sont gratuits. Malheureusement, en raison de la baisse des effectifs soignants en psychiatrie, obtenir un rendez-vous en CMP peut demander plusieurs mois d’attente. Ce postulat limite de manière élitiste l’accès aux soins aux gens qui peuvent les payer, excluant d’emblée ceux qui en auraient le plus besoin dans la mesure où ils sont objectivement confrontés à des conditions de vie plus difficiles que les précédents, et à une souffrance psychique plus importante.
  • Un autre point qui me parait sujet à caution chez certains psychanalystes est la technique qui consiste à laisser parler le patient sans lui adresser un mot pendant la séance, ni lui donner d’indication dans sa recherche. Le but d’une thérapie consiste, pour la personne qui vient consulter, à soulager une souffrance psychique en l’aidant à trouver des solutions au problème qui l’amène. L’efficacité de la thérapie dépend de la capacité du thérapeute à lui apporter une aide lui permettant de trouver ces solutions. Or ce n’est pas en gardant le silence qu’il est possible de le faire. Cela nécessite un échange, entre le consultant qui vient en exposant son ou ses problèmes, et le thérapeute qui va l’aiguiller dans sa recherche de clarification intérieure.
  • La neutralité bienveillante, sur laquelle est fondée l’écoute silencieuse du thérapeute, mérite ici d’être redéfinie: cette neutralité, qui implique de la part du thérapeute de ne pas prendre parti, de mettre de côté ses convictions personnelles, de se garder d’émettre des jugements de valeur et de se projeter sur son patient, n’implique en revanche pas de laisser les gens tourner en boucle éternellement dans leur problématique, ce qui se passe bien souvent quand le thérapeute reste silencieux.

          L’efficacité de la thérapie dépend alors de la capacité du thérapeute à cerner la problématique, et à aider le patient à remettre en question les postulats sur lesquels elle repose. Non pas en lui imposant la vision qu’il en a, mais en pratiquant une écoute à double niveau: l’écoute de ce que dit la personne elle-même, avec un état d’esprit ouvert qui permet de débusquer les faux postulats, ou les problèmes sous-jacents, puis à les lui présenter en termes d’hypothèses, dont il appartient ensuite à son patient de vérifier la validité. La prise de conscience de la fausseté d’un postulat engendre généralement une réaction de jubilation: la personne sait que c’est là que se situe le nœud, et qu’elle a trouvé la façon de le défaire. Elle est suivie d’une sensation de délivrance. Dans ce cas, le thérapeute sait qu’il a fait correctement son travail et que celui-ci est terminé. En cela, le travail thérapeutique me paraît proche de celui d’un enquêteur.

  • Certaines personnes peuvent venir consulter pour de faux problèmes qui reposent sur des questions qui n’ont pas de sens, ou qu’il est impossible de résoudre parce qu’ils sont mal posés. Ce genre de motif de consultation peut être résolu très rapidement, en deux ou trois séances, indépendamment de toute recherche de traumatisme infantile. D’autres peuvent également venir pour des troubles qui sont du ressort d’un médecin ou d’un psychiatre vers lesquels il importe de les diriger. C’est pourquoi une thérapie qui s’étale sur des années ne me parait pas efficace, et plus de l’ordre de la recherche personnelle que d’une thérapie proprement dite.

  •  Les relations de transfert et de contre-transfert entre le thérapeute et son patient m’apparaissent de l’ordre du dogme, et la croyance en leur nécessité me semble fausser la relation thérapeutique. Une relation de confiance, oui, mais de transfert, à savoir de sentiments à l’égard du thérapeute proches d’une relation amoureuse, me semble hors de propos, et de nature à favoriser l’emprise mentale. En revanche, une relation de confiance me semble indispensable. Or la confiance ne se décrète pas, elle se gagne, à travers l’efficacité du thérapeute: un entretien psychothérapique qui n’engendrerait aucun soulagement, ni aucune prise de conscience relative à la résolution des problèmes, m’apparaît dépourvu d’utilité, au même titre qu’un traitement physique qui n’engendrerait aucun soulagement du trouble pour lequel il est prescrit.

  •  Pour ce qui est de la carte de la psyché humaine reposant sur les notions de conscient, d’inconscient, et de subconscient, elle ne me semble plus valide aujourd’hui, de même que la conception du rêve comme le produit dudit inconscient, et l’interprétation de ceux-ci par un thérapeute. Dans quelque domaine de connaissance que ce soit, il y a une part de connu, une part d’inconnu mais potentiellement connaissable, et une part d’inconnaissable, du fait que ce que nous pouvons connaître est tributaire des capacités et des limites de notre système nerveux. En conséquence, ce que nous connaissons est du domaine du conscient, ce que nous ignorons, du domaine de l’inconscient, mais cela est valable pour tout, en psychologie comme en plomberie. Cela ne veut pas dire que nous aurions un conscient, un inconscient et un subconscient qui seraient inhérents à la nature humaine.
  • L’étude des rêves est accessible à tous: il suffit pour cela d’y prêter attention, et de les retranscrire, indépendamment de toute référence à une théorie donnée et de tout intervenant extérieur. Cette retranscription, bien que décrivant souvent partiellement le contenu du rêve en fonction du souvenir qu’il en reste, devient un élément objectif de ce contenu. Elle permet d’observer ce qui se passe à ce niveau, et d’en tirer des déductions sur les fonctions des rêves et l’utilité que peut présenter leur étude pour la vie éveillée[2].

          Certains rêves peuvent contenir des éléments d’information sur les problèmes qui se posent au cours de la vie éveillée: des rêves récurrents, dans lesquels on est confronté à une situation qui se reproduit, signalent généralement un problème à régler; des cauchemars successifs relatifs à des événements traumatiques peuvent permettre de modifier la façon de réagir aux agression: ainsi parvenir à ne plus fuir le danger en rêve, mais à l’affronter permet de mettre un terme aux cauchemars, de modifier l’attitude mentale par rapport aux agressions de la vie éveillée, et de cesser de se comporter en victime[3] .

          D’autres rêves peuvent avoir un rôle d’avertissement, en se référant à des événements de la vie future (rêves prémonitoires); d’autres peuvent jouer un rôle compensateur dans des périodes difficiles: un rêve fantastique, au contenu valorisant ou merveilleux, peut permettre de mieux vivre des circonstances pénibles traversées au cours de la vie éveillée.

          Certaines personnes ont la faculté de faire des rêves lucides, à savoir d’être conscients qu’ils rêvent, et de pouvoir en diriger le contenu (Les rêves et les moyens de les diriger, Hervey de SaintDenys). Pour en avoir fait à quelques rares reprises, en ce qui me concerne, j’ai trouvé ces expériences décevantes par rapport au contenu des rêves dans lesquels je n’ai pas conscience de rêver: il m’a semblé que cette intrusion du conscient dans le contenu onirique en limitait le champ, et que le rêve était beaucoup moins intéressant quand j’étais consciente de rêver, ce qui lui enlevait une part de son côté « magique ». Ainsi, lors d’un rêve dans lequel, confrontée à des ennemis, je m’envolais au plafond et leur donnais des coups de pied, je pensais « Je savais bien que je pouvais voler, ils me disent que je ne peux pas, mais c’est faux. » Ce qui m’intéresse dans cette situation n’est pas de savoir si je rêve ou si je suis éveillée, c’est la sensation de voler, que je peux explorer et dont je peux profiter au maximum, dans ce rêve mais aussi dans d’autres au cours desquels je survolais des forêts et des paysages. Alors que lors des rêves lucides, la conscience d’être en rêve comportait la conscience du niveau physique: moi en train de dormir dans mon lit, dans le contexte de ma vie physique présente, qui, en entrant dans mon champ de conscience du rêve, venait « alourdir » celui-ci et le parasiter.

          Pour ce que j’en constate depuis que j’ai commencé à noter mes rêves en 1981, le niveau de conscience en rêve est différent de la conscience éveillée, et participe à une forme de conscience différente, non tributaire des limites du monde physique de matière/espace/temps (je peux voler en rêve, mais pas dans le monde physique), obéissant à une logique différente et à des lois différentes. En cela, les données de la physique moderne me paraissent plus adaptées à la compréhension de ce qui se passe en rêve que les cartes du psychisme humain élaborées dans le cadre de paradigmes aujourd’hui dépassés.

  • Quant à leur interprétation par un thérapeute, les éléments des rêves sont symboliques, et le sens des symboles varie d’une personne à une autre. C’est pourquoi il ne me parait pas possible de donner des rêves d’autrui une interprétation fiable. Il est possible d’apporter des éléments de compréhension et d’explications sur leurs fonctions, mais pas de généraliser un sens symbolique: il appartient à chacun d’interpréter ses propres rêves à partir de ce que leur contenu représente pour lui-même. Mais cela implique de s’y intéresser, de les noter, de réfléchir à leur contenu, ce qui requiert du temps, de la discipline et une recherche intérieure personnelle indépendante.

          En conséquences, ces concepts freudiens et les règles de l’analyse, qui justifient des thérapies longues, onéreuses et peu efficaces, me paraissent répondre davantage aux intérêts des thérapeutes qu’à ceux des patients.

5. De l’importance d’une recherche en sciences humaines harmonisée sur notre évolution scientifique

          Ce que je tire comme enseignement de cette analyse, c’est qu’il importe de resituer les théories sur lesquelles nous nous appuyons dans leur contexte historique, et de prendre conscience du fait qu’il ne s’agit là que de théories inventées par des humains, qui ne peuvent être considérées comme « vraies » de toute éternité ni applicables à tout le monde.

          Un discours qui apparaît scientifique à un moment donné, en fonction de l’état des sciences du moment, et c’était le cas de Freud à la fin du XIXème siècle rationaliste, convient d’être abandonnée par la suite sur la base de l’évolution scientifique. En fonction de notre connaissance actuelle de l’homme, ce que nous ignorons est toujours plus étendu que ce que nous en savons, aussi aucune théorie ne peut prétendre appréhender l’être humain complètement ni exactement, ni être considérée comme vraie pour tous les temps à venir, faute de quoi ce n’est plus de sciences dont il est question, mais de croyances et de dogmes.

          Depuis la fin du XXème siècle, une multitude d’autres théories sont apparues en matière de psychologie, y compris celles issues du développement personnel, du management d’entreprise, et de sectes de tout poil. Chacune repose sur une vision différente du psychisme humain, et sur des méthodes différentes d’appréhender les troubles psychiques. Mais toutes se présentent comme « la seule vraie », en excluant les autres. Certaines, complètement délirantes, du domaine de la manipulation et de l’escroquerie, sont effectivement à exclure d’emblée. Toutefois, en raison des répercussions financières dans ce domaine, à savoir de la manne que représente le marché du psychisme, ces théories sont enseignée par des centres de formation agréés par la Direction du Travail et de l’Emploi, qui, se faisant, en cautionne le contenu (formations des DRH, écoles de cadres, etc.).

          D’où l’urgence d’une recherche en sciences humaines intégrant les données de notre évolution scientifique actuelle: il n’est pas cohérent de vivre dans un monde régi par la technologie actuelle, élaborée à partir de l’avancée des connaissances scientifiques du XXème siècle, tout en nous orientant, aux niveaux humains, à partir de cartes élaborées au XVIIème siècle (rationalisme), que nous appréhendons avec des mécanismes de pensée hérités de l’antiquité (aristotélisme)[4] , qui sont aujourd’hui obsolètes et impropres à appréhender la complexité de nos problèmes humains tels qu’ils se posent dans le monde moderne.

          Ainsi, à travers sa remise en question de Freud, Michel Onfray remet en question non seulement les bases de la psychanalyse, celles de la psychiatrie, mais également la vision officielle de l’homme sur laquelle nous fondons notre prétendue identité, statique et immuable. Quoi qu’on puisse penser de son travail, celui-ci a le mérite de balayer les croyances et dogmes ambiants et d’ouvrir la voie à une recherche en sciences humaines qui était fermée à ce niveau. Loin d’être réglées, les questions concernant la nature humaine, la sexualité humaine, le psychisme humain, la nature des rêves, etc., restent ouvertes et toujours d’actualité.

          La démarche scientifique, qui consiste à dire « Qu’est-ce qui se passe là ? Je n’en sais rien, allons voir » et à commencer par l’examen des faits à partir de ce que nous pouvons en percevoir par nous-mêmes me semblerait un bon départ:

« Il y a une formule précise en sémantique générale. à appliquer, et ce que je dis est une réponse générale à vos questions. Cette formule consiste à répondre, chaque fois que vous avez une question à poser à quelqu’un d’autre ou à vous-mêmes: « Je ne sais pas, voyons ce qu’il en est ». En d’autres termes, l’investigation des faits. Observez ce dont il s’agit et à quoi cela s’applique, et vous obtenez votre réponse. Ceci est une démarche scientifique. » A. KORZYBSKI, Séminaire de Sémantique Générale, Première conférence, Interzone Éditions.

Notes

[1]. Publié chez Albin Michel, 1954, 388 pages, couverture illustrée. Le Docteur Augustin Cabanès  (1862 1928) est médecin, journaliste et historien français. Il est principalement connu pour ses ouvrages sur les mystères de l’histoire de la médecine. En ligne dans le site de Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France, à https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5667408z/f1.image.texteImage

[2]. Je note mes rêves depuis 1981, hors de tout contexte psychanalytique et indépendamment de toute théorie relative à l’onirisme.

[3]. Voir La Créativité Onirique, Patricia Garfield, éditions La Table Ronde.

[4]. Voir Les différentes étapes de l’évolution de l’Occident: Aristote, Descartes, Korzybski, Trois visions de l’homme et du monde  (I.AUBERT-BAUDRON). https://www.interzoneeditions.net/ADK.pdf