Extrait de Avec William Burroughs – Notre Agent au Bunker de Victor Bockris, éd. Denoël, 1985.  Traduction: Isabelle Baudron

With William Burroughs – A Report  from the Bunker

Stewart Meyer et Burroughs après le dîner au Bunker. Noter le tee-shirt NO METRIC de Burroughs.

Photo par Victor Bockris

Avec William Burroughs

Sur les rêves

Dîner avec Stewart Meyer: New York 1979

STEWART MEYER: Bill, quand je compose quelque chose à partir de l’azur limpide, d’où est-ce que ça vient?

BURROUGHS: Mon vieux, rien ne tombe de l’azur limpide. Tu as le chemin de ta mémoire… tout ce que tu as jamais vu ou entendu se promène avec toi. Souviens-toi de cette phrase du Festin nu: « Vous savez bien que tout ce qu’un juif a dans la tête, c’est de s’envoyer une chrétienne. » J’ai entendu cette phrase mot pour mot. J’ai pensé en moi-même: «Seigneur Jésus, maintenant j’ai tout entendu. » Mais la phrase est venue à point nommé.

MEYER: Aussitôt?

BURROUGHS: Il a bien fallu plus ou moins trente ans.

MEYER: Quand j’écris en laissant libre cours à mon imagination, au bout d’un moment je commence à m’observer, ce qui arrête le cours de ma pensée.

BURROUGHS: Qui est-ce qui t’observe quand tu t’observes?

MEYER: Est-ce qu’un type qui marche sur la corde raide marche sur la corde raide tout le temps?

BURROUGHS: Eh bien, oui. Je vais me calfeutrer dans le Bunker et laisser ce truc aux spécialistes.

MEYER: C’est dommage que le subconscient ne puisse être mis en activité directement comme le conscient.

BURROUGHS: C’est possible.

MEYER: Quoi? Comment?

BURROUGHS: En ne faisant rien. L’unique secret pour laisser jaillir le subconscient c’est de ne rien faire. Ça correspond à la pensée bouddhiste.

MEYER: Mais le déclenchement ne se fait pas directement.

BURROUGHS: Le conscient et le subconscient marchent tout à fait différemment.

MEYER: Pourquoi, d’après toi, le conscient est-il nécessaire?

BURROUGHS: Je crois qu’on finira par laisser tomber le conscient comme une expérience ratée. Réfléchis à cela: plus de « moi » conscient. On en aurait fini avec toutes ces contradictions.

BOCKRIS: A quoi crois-tu?

BURROUGHS: « Croyance » est un mot qui ne signifie  rien. Qu’est-ce que cela veut dire? Tu prends le cas d’une personne qui entend des voix et qui y croit. Cela ne signifie pas nécessairement que ces voix sont réelles. Toutes les conceptions de ton «  moi » sont des leurres. Tu dois définir ce qu’on appelle le «  moi » avant de parler de ce que croit le « moi ».

BOCKRIS: Quel est ton point le plus fort et quel est ton point le plus faible?

BURROUGHS: Ma plus grande force, c’est d’avoir une grande capacité de me confronter à moi-même, quelque désagréable que cela puisse être. Ma plus grande faiblesse est que je n’ai pas cette capacité. Je sais que c’est énigmatique, mais c’est le genre de formule généralement valable pour tout le monde.

 

Victor Bockris: Avec William Burroughs

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