©Isabelle Aubert-Baudron, 21 novembre 2019

Réduisons la fêlure collage © Jean-Louis Baudron 

Une pathologie difficile à soigner

               En France, les termes utilisés pour désigner cette maladie sont « psychose maniaco-dépressive » (PMD), et depuis une époque récente, « troubles bipolaires » (Association Américaine de Psychiatrie). Voir pour plus d’information la page que lui consacre le site Psychiatrie Infirmière. [1]         

               En milieu hospitalier, à moins d’avoir affaire à des patients dits « chroniques » qui ne sortent jamais de l’hôpital, nous sommes principalement en relation avec les patients souffrant de cette maladie lors des épisodes aigus, quand leur comportement devient incontrôlable en phase maniaque, ou en cas de risque de suicide lors des phases dépressives. Si bien que nous ne les voyons que dans un contexte pathologique.

               Il peut arriver, s’ils rencontrent des médecins différents dans des établissements différents pendant ces différentes phases, que les  diagnostics posés soient différents en fonction de la nature des troubles présentés quand ceux-ci sont considérés isolément: dépressif, psychotique, ou, s’ils ont tendance à s’alcooliser ou à prendre des drogues au cours d’une de ces phases,  ce qui est assez courant, alcoolique ou toxicomane, chaque diagnostic donnant lieu à une approche, une prise en charge et un traitement spécifiques. Ces patients peuvent alors errer de médecin en médecin sans savoir ce qu’ils ont avant que soit posé le diagnostic de trouble bipolaire qui donnera lieu, entre autres, à la prescription d’un régulateur de l’humeur. Toutefois, en dehors de ces phases, ils n’ont pas de symptôme du tout.

               Selon les patients, la fréquence des phases est différente : elles peuvent apparaître tous les trois ou quatre ans pour une personne 1, tous les six mois pour une personne 2, etc. Quand elles se produisent rarement, le reste du temps les gens peuvent avoir une vie familiale /sociale/professionnelle, etc., satisfaisante.

               Mais quand ces phases se produisent régulièrement une ou deux fois par an, leur vie et celle de leur entourage peut devenir un enfer. A une telle fréquence, il leur est difficilement possible de garder un emploi sur le long terme, à moins d’avoir une activité créatrice indépendante de toute structure hiérarchique (artistique, musicale, littéraire, etc.), dans laquelle ils peuvent investir leur hyperactivité psychique durant la phase maniaque sans déranger qui que ce soit.

               Cette  succession de troubles différents remet en question l’origine psychiatrique de cette maladie: il me parait difficile de souffrir de plusieurs maladies mentales à la fois : avoir une structure de personnalité névrotique en février, une psychotique en septembre, une borderline de temps à autres, et être sain d’esprit le reste du temps. J’en déduis que ce qui est en question ici ne serait pas leur structure de personnalité, mais des perturbations biochimiques liés au métabolisme lui-même.

               Effectuant une recherché sur internet sur “troubles bipolaires et métabolisme”, j’ai trouvé un article du Dr Alain Cohen : “Le trouble bipolaire, une maladie métabolique ? [2]  Selon le Dr Cohen, les troubles bipolaires seraient alors la conséquence d’un métabolisme  perturbé.  Les troubles du comportement ne seraient alors pas plus d’origine psychiatrique que ceux dont souffre un diabétique qui fait une crise d’agitation quand il est en hypoglycémie: dans ce cas, des traitements psychotropes seraient inadaptés : il suffit de lui donner du sucre pour qu’il cesse d’être agité.

L’apomorphine, un régulateur du métabolisme ?

               Si, pour mettre un terme aux troubles hypoglycémiques, il suffit de s’alimenter en conséquence, en revanche  dans le cas des troubles bipolaires, les symptômes, qui sont interprétés dans le cadre d’une pathologie psychiatrique, auraient alors une autre origine, biochimique. L’hypothèse d’une perturbation métabolique permet alors d’envisager d’autres approches que l’administration de traitements à base de différents psychotropes et de lithium, qui doivent être constamment adaptés en fonction des différentes phases et engendrent un ensemble d’effets secondaires, d’où la tendance de certains patients à les interrompre d’eux-mêmes quand ils vont bien, ce qui engendre un retour des épisodes critiques.

               En 2018 j’ai été contactée par un membre d’une équipe de recherche de l’hôpital de Rennes au sujet de la documentation que j’avais mise en ligne, en collaboration avec William Burroughs, sur le protocole du  traitement par apomorphine pratiqué au Royaume Uni par le Dr John Yerbury Dent dans les années cinquante, dans le domaine de la désintoxication alcoolique et de l’héroïne. Suite à un séjour d’une semaine dans cette clinique, Burroughs affirmait avoir été désintoxiqué en l’espace de 4 jours. Dans les années quatre-vingt, sur la base de la documentation qu’il m’avait communiquée, j’avais entrepris une recherche sur ce traitement dans les pays d’Europe où il était encore pratiqué. A ma connaissance il n’avait pas été appliqué en France, qui limitait aux cures de dégoût l’utilisation de l’apomorphine dans les cures de désintoxication alcoolique. Toutefois il était néanmoins connu dans la mesure où dans les années soixante-dix, le dictionnaire Vidal citait « le protocole Dent » dans la notice de l’apomorphine.

               Cette équipe de l’hôpital de Rennes entreprenait à son tour une expérimentation de ce traitement sur des patients éthyliques. J’ignore quel protocole a été utilisé, s’il était conforme à celui du Dr Dent, et quels résultats ont été obtenus, cette expérimentation n’en étant alors qu’à son début.

               Mais si, comme le prétendait alors le Dr Dent, puis, par la suite, les médecins qui ont appliqué ce protocole au Danemark dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l’apomorphine, en régulant le métabolisme des patients, permettait de désintoxiquer rapidement  des gens souffrant d’une addiction  (alcool, drogues, médicaments), il est permis d’espérer qu’elle puisse avoir un effet similaire sur les troubles bipolaires.

               Une précision ici: je n’émets aucune critique sur l’approche psychiatrique actuelle ni sur les traitements appliqués aux troubles bipolaires, car ce sont les seuls outils dont nous disposions. Je me contente d’avancer une hypothèse, en espérant que la recherche future permettra de la confirmer comme elle l’a été dans les pays qui l’ont expérimentée dans le traitement des addictions, ou de l’infirmer. Au cas où elle serait confirmée, ce traitement, peu coûteux et simple à mettre en place en milieu hospitalier, pourrait alors considérablement améliorer la vie des gens souffrant de troubles bipolaires comme  ceux qui sont prisonniers d’une addiction, et diminuer ce-faisant les dépenses hospitalières.

               L’approche biochimique ne me paraît pas opposée aux autres, psychiatrique et psychothérapique. Chacune prenant en compte des niveaux différents, elles sont de ce fait complémentaires. Aucune n’est définitivement fixée, dans un contexte d’une recherche en constante évolution, ni ne peut prétendre tenir lieu de seule vérité en excluant l’apport des autres, sous peine de se décrédibiliser. Sur cette base, il appartient aux différentes disciplines de partager leurs approches, de confronter leurs résultats, dans le cadre d’une démarche scientifique digne de ce nom, qui seule peut éviter les écueils idéologiques, sectaires et financiers.

Pour aller plus loin

Sur la cure d’apomorphine du Dr Dent

Notes

[1] En ligne à http://psychiatriinfirmiere.free.fr/infirmiere/formation/psychiatrie/adulte/pathologie/psychose-maniaco-depressive.htm

[2] https://unafam54.org/2014/02/05/le-trouble-bipolaire-une-maladie-metabolique/

Le trouble bipolaire, une maladie métabolique ?5 février 2014 par michelleleblan

« L’OMS place le trouble bipolaire parmi les dix maladies les plus préjudiciables, non seulement en raison de son propre retentissement sur la qualité de la vie, mais aussi pour son impact considérable sur la morbidité comme sur la mortalité : augmentation du taux de suicide, accès plus médiocre aux soins, mauvaises habitudes de vie, effets indésirables des médicaments psychotropes…

Mais le facteur le plus important contribuant à cette surmortalité, c’est l’accroissement des pathologies cardiovasculaires, un phénomène remarqué dès 1933, à l’occasion d’une étude épidémiologique sur l’admission en hôpital général de malades maniaco-dépressifs (comme on disait alors). On sait désormais que ce « syndrome métabolique » associé à la maladie bipolaire se décline à travers l’amplification de plusieurs facteurs de risque : obésité, hypertension artérielle, diabète sucré de type 2, (diabète non insulinodépendant, DNID), dyslipidémies, sédentarité, tabagisme…

Parmi ces facteurs de risque cardiovasculaire, le plus récurrent consiste dans des anomalies du métabolisme glucidique, et depuis sa découverte au XXème siècle, « plusieurs chercheurs ont attiré l’attention sur cette relation inattendue entre la maladie maniaco-dépressive et le métabolisme glucidique. » Le DNID affecte 8 à 17 % des sujets bipolaires (une prévalence triple de celle observée dans la population générale) et ces patients connaissent souvent une évolution plus sévère de leur pathologie psychiatrique : plus grande fréquence des épisodes dépressifs ou maniaques et des hospitalisations, risque de suicide plus élevé, et plus grande résistance aux traitements.

Les auteurs estiment qu’il est donc crucial de comprendre le mécanisme évolutif de la maladie bipolaire qui se révèle « une affection grave, non seulement du point de vue psychiatrique » mais aussi somatique, et impliquerait à ce titre « un contrôle métabolique indépendant du type de traitement » (psychiatrique). Apparentant la maladie bipolaire à une situation de perturbation métabolique, cette dimension médicale ne doit plus être méconnue et, concluent les auteurs, «tous les médecins devraient être conscients de la nécessité de mettre en œuvre des stratégies de prévention primaire, afin de réduire le fardeau médical global et la mortalité des patients bipolaires. »

Dr Alain Cohen »

Liens en construction: merci de revenir dans quelques temps.