Psychiatrie, le Carrefour des Impasses (13)

 

          Après la mort de Louis, ses sœurs ont repris contact avec moi. L’une d’elle m’a envoyé ces poèmes, accompagnés de la dernière photo qu’elle avait prise de lui, et souhaite qu’ils soient publiés dans ce livre.

   Voir également les tableaux de son frère qu’elle m’a adressés en début d’année (2020) , et qui sont publiés dans la page que je lui ai consacrée à la rubrique Poésie.

Photo © Édith Aurengo

Louis

 

J’ai croisé tes regards apeurés

Lors d’un de tes moments de lucidité

Quand l’âpreté de ta démence

Quitte tes entrailles et ton esprit

Et te laisse entrevoir la densité

De ta folie … si folie il y a ….

Tu pourras la quérir

Peut-être dans tes poches

Ou dans les poches du regard des autres,

Parfois plus vide que le tien.

L’innocence du délire

De ton langage bariolé

Fait fuir quelques fois mais aussi

Possède pureté et naïveté

Même dans tes expressions les plus lubriques

Tu nous inondes de ton savoir électrique

Ce savoir si étrange, si lucide,

Si euphorisant, si humilié parfois.

Le reconnaissons-nous ?

Il fait bon s’épancher à son contact

Il peut nous embarquer vers des contrées lointaines

Il vient de cette époque lumineuse

Où tu possédais beauté, jeunesse et liberté

Où tu te débattais dans ces méandres glauques

Du LSD et autres paradis artificiels

Ces paradis te firent descendre aux enfers

Puis à l’enfermement

Tu as droit à notre protection, notre respect, notre amour

Car enfin de quoi peux-tu être coupable, sinon d’innocence.

17 octobre 1995

Les Coteaux de la folie tendresse

 

Parking, terre brûlée

Service des Coteaux, bâtisse, enfermement partagé

Pas à pas, tripes nouées

J’entre dans cet univers, danger pour la société

 

Monde fermé, monde perdu

Ils sont là, hommes et femmes éperdus

Dans cette galère infinie

Derrière les grillages de leur folie.

 

Il est là, trapu, maladroit, émouvant

Dans ce contre-jour baigné de soleil filtré

Main déjà tendue, pour offrir, pauvre hère déboussolé,

L’objet tendresse malaxé de ses doigts obéissants

 

Je n’oublierai pas cette journée délire intimiste

Les cœurs de tournesols noircis

Les blés coupés écorchant ma liberté

Me rapprochant de tous ces paumés.

 

Retour tristesse après ces retrouvailles intimes

Avec celui qui partagea mes années enfantines

Et qui de blessure en blessure d’une vie mutilée

S’est arrêté là, ailes coupées, esprit égaré.

 

Ligne blanche, frère en quarantaine éternelle !

Ligne pointillée, talus verdure, la folie me guette !

En ritournelle !

18 août 1996

Cendres de toi

 

Cendres de toi. Frère en quarantaine éternelle !

Nous t’aurions aimé équilibriste

Sur les fils d’une vie harmonieuse

Nous t’avons aimé au long cours

D’un enfermement partagé

Avec ceux de ta condition de déboussolés

Ta boussole ayant perdu depuis bien longtemps

Ton nord, ton sud, ton est et même ton ouest.

 

Cendres de toi. Frère en quarantaine éternelle !

Nous t’aimerons au-delà de ces quatre points cardinaux

Au-delà des frontières du réel accrochées à nos quotidiens

Nous t’avons aimé et t’aimerons

Pour les crues débordantes de ton délire

Que tu ne savais pas maîtriser,

Pour cette tendresse émouvante que tu expulsais

Gauchement vers nous lors de ces journées intimistes

Où, tels des papillons, nous voletions autour de toi

Pour déposer dans tes bras, la nôtre, de tendresse.

 

Cendres de toi. Frère en quarantaine éternelle !

Les accroche-cœurs de nos mots n’ont pas su

Aguicher tes maux pour les réduire à néant

Leurs échardes se sont plantées chaque jour

Un peu plus en toi et t’ont envoûté jusqu’au silence.

Alors tu as refusé la démesure de cette souffrance

Qui te faisait muet devant l’inacceptable

Et tu as préféré glisser doucement vers la sortie

De ce monde où la lumière t’avait ignoré.

 

Cendres de toi. Frère en quarantaine éternelle !

Tu avais enfin rendu les armes

Et si nos cœurs accrochés à ta vie ont osé pleurer

La rupture que tu nous as infligée

Nous ne saurions t’en vouloir de ton escapade,

Le chaos de ta vie étant enfin évaporé

Pour redonner à tes ailes brisées

L’élan vers un ailleurs meilleur et lumineux

Ta souffrance réduite en cendres.

Frère en quarantaine éternelle !