Psychiatrie, le Carrefour des Impasses (20)
A simple method to get rid of nightmares (Traduction approximative de Google)
22 avril 2020.
Ce texte n’est pas un écrit littéraire, il a été rédigé dans un langage familier accessible à tous, que je conserve ici.
J’ai également décrit cette méthode d’abord en anglais, en 1997, dans le site The Western Lands du réseau Interzone: A simple method to get rid of nightmares . Dans ce contexte, des membres de ce réseau ont effectué une recherche commune sur les rêves en rassemblant les leurs (juillet 1997- mai 2002), dans les pages Dreams 1 et Dreams 2 , puis en 2014, dans le livre Des systèmes de contrôle (Interzone Éditions).
Description de la méthode
Au début des années 80, Jean-Louis, mon ex-mari, et moi, avons découvert un livre de Patricia Garfield, La Créativité Onirique : Du Rêve Ordinaire au Rêve Lucide, Ed. La table Ronde, qui traitait des enseignements sur les rêves provenant de différentes cultures (Grèce antique, Indiens Américains, Senoï et Tibétains).
Patricia Garfield est une anthropologue. En Malaisie elle est allée chez un peuple, les Senoïs, et a été étonnée de voir qu’ils n’y avait chez eux pas de criminalité ni de maladie mentale. Elle a cherché à comprendre pourquoi et a constaté que toute leur vie sociale tournait autour des rêves: ils se les racontaient, les commentaient, éduquaient les enfants à rêver, etc.
L’enseignement des Senoïs contenait une méthode pour se débarrasser des cauchemars. Comme nous en faisions et que la méthode était facile à appliquer, nous l’avons essayée. Voici en quoi elle consiste :
- Mettre sur sa table de nuit un petit carnet. Dès qu’on se réveille, chercher à se souvenir des rêves qu’on vient de faire, et les noter brièvement à l’aide de quelques mots sur le carnet afin de pouvoir s’en souvenir plus tard. Il se peut qu’on ne se souvienne pas de ses rêves, mais le fait de tourner son attention vers cette activité et le désir de s’en souvenir permettent de les retrouver plus facilement.
Parfois on ne retrouve qu’une bribe de rêve: dans ce cas, rester couché les yeux fermés dans la position dans laquelle on s’est réveillé, se concentrer sur la bribe de rêve, sur les impressions et les souvenirs et tenter de remonter le fil de ce qui s’est passé.
Le souvenir des rêves s’efface vite, sauf pour les rêves très marquants comme les cauchemars, et si on ne les notes pas, on les oublie rapidement. Vous vous réveillez avec un rêve précis et vous prévoyez de le noter dans la journée. Quand vous voulez le faire à midi, pffuit ! Il est parti.
- Dans la journée, reprendre les notes du carnet et décrire le rêve sur un cahier ou des feuilles de classeur de façon aussi détaillée que possible. Lui donner un titre, et l’indexer avec la date et un numéro.
En ce qui concerne les cauchemars, se dire avant de s’endormir: « Je dois affronter et vaincre le danger en rêve » et se » concentrer sur cette idée. Généralement, dans un cauchemar, nous sommes face à un danger, quelque chose dont nous avons peur, que nous subissons et auquel nous cherchons à échapper. Parfois nous sommes cloués sur place, impuissants à fuir.
Or si, dans la vie éveillée, nous nous trouvons parfois devant des dangers réels, ce n’est pas le cas en rêve. Quand nous rêvons, nous sommes couchés dans notre lit, et au réveil nous sommes soulagés de nous retrouver dans le monde physique et de constater que l’histoire que nous venons de vivre ne s’est pas produite et que les dangers que nous venons de rencontrer n’étaient pas réels, même s’ils se réfèrent à des événements traumatiques que nous avons pu vivre antérieurement durant notre vie éveillée.
En nous entraînant à affronter et vaincre le danger en rêve, nous pouvons alors apprendre à agir sur leur contenu et mettre un terme à leur issue dramatique.
- Quand un cauchemar survient, le noter, réfléchir ensuite aux moyens que nous aurions pu utiliser en rêve pour modifier la situation à notre avantage, et décider de s’en servir la prochaine fois. Se souvenir que les limites qui existent dans le monde physique n’existent pas en rêve : tout est alors permis, et nous pouvons décider du cours des événements. Face à un danger, nous pouvons nous transformer, comme Merlin l’Enchanteur, ou faire appel à un ami, ou nous envoler et échapper au danger, ou réaliser que nous sommes en train de rêver et que nous ne voulons plus de ce scénario, etc…
Dans le cas des cauchemars récurrents, nous pouvons alors suivre leur évolution en relisant les notes: ils sont souvent en relation avec des problèmes que nous affrontons dans la vie de tous les jours, ou des choses qui nécessitent notre attention, ou des directions à suivre dans telle ou telle situation, etc.
Le fait de noter le rêve permet de le mettre « en dehors » de nous et ce faisant, de prendre du recul par rapport à son contenu. Nous pouvons décider à l’avenir, quand le rêve se reproduira, d’influer sur son cours, et dans le cas des cauchemars, d’interrompre leur issue dramatique en imaginant d’autres possibilités. Le scénario se modifie alors positivement.
A partir du moment où nous arrivons à affronter et vaincre le danger dans le rêve, nous ne faisons plus de cauchemars. Fini, terminé !
Mon expérience personnelle
Dans les cauchemars que je faisais, je subissais des violences diverses. Après avoir commencé à noter mes rêves, ceux-ci étaient toujours violents, mais de victime, je me transformais en agresseur et tuais tous les ennemis qui se présentaient. Ce n’étaient plus à proprement parler des cauchemars, mais le contexte violent n’était toujours pas satisfaisant.
Après quelques rêves de ce genre, une nuit s’est présenté un agresseur muni d’un pistolet. Je l’ai regardé tranquillement et son pistolet lui a fondu dans la main. J’ai éclaté de rire, et l’agresseur a pris un air dépité. J’ai éprouvé de la sympathie pour lui, et j’ai pensé qu’il m’avait fait une bonne blague avec son pistolet fondu. Depuis ce jour (1982), je n’ai plus fait un seul cauchemar.
Jean-Louis a eu une expérience similaire, sans passer par l’étape agressive. Il rêvait souvent qu’il se trouvait toujours dans la caserne où il avait fait son service militaire, avec le sentiment qu’il y était depuis 20 ou 30 ans sans pouvoir en sortir, ce qui virait au cauchemar. Jusqu’à ce qu’une nuit, il rêve qu’alors qu’il était face au colonel, il déchirait ses papiers militaires, les lui envoyait à la figure et sortait enfin définitivement de la caserne.
Il nous a fallu environ un mois à l’un et à l’autre pour arriver à ce résultat, à partir du moment où nous avons commencé à noter nos rêves.
Quelques temps plus tard, est arrivée à l’hôpital[1] une jeune fille de 17 ans. Elle avait été violée à l’âge de 14 ans et chaque nuit faisait le même cauchemar au cours duquel elle revivait ce viol. Elle était terrifiée à l’idée de s’endormir, se réveillait plusieurs fois au cours de la nuit et tentait alors de se tuer pour échapper à ce cauchemar. Nous travaillions alors de nuit, et devions faire des rondes toutes les 10 minutes pour dénouer le foulard avec lequel elle tentait de s’étrangler, enlever des médicaments cachés sous son oreiller, ou le couteau subtilisé au cours d’un repas, ou une provision de médicaments soustraits à son traitement, etc…
En désespoir de cause, Jean-Louis lui a proposé cette méthode. Elle s’est montrée intéressée et a commencé à noter ses rêves. Chaque jour elle lui faisait lire le nouveau, et comment elle avait réagi face au danger. A partir de ce moment-là, elle a cessé de vouloir se tuer: ses rêves devenaient pour elle des objets d’étude, elle avait trouvé un moyen d’agir sur eux et ne se sentait plus sans défense.
Environ un mois après, alors que nous embauchions, elle se précipita vers nous en s’écriant «Ça y est, je l’ai eu ! » Elle avait rêvé qu’elle rencontrait son violeur dans l’ascenseur de l’hôpital et qu’elle lui avait flanqué une correction monumentale qui l’avait laissé sur le carreau.
Ce rêve a mis un terme à ses cauchemars et à ses problèmes de sommeil. Elle est sortie de l’hôpital peu après.
Toutefois je dois dire que la réunion de synthèse qui lui a été consacrée avant sa sortie était peu orthodoxe, l’équipe, qui découvrait l’origine du changement, hésitant entre étonnement, méfiance et incrédulité, ce qui était compréhensible dans la mesure où cette méthode, dont ils n’avaient jamais entendu parler, ne cadrait pas du tout avec la conception freudienne des rêves comme produits d’un inconscient poubelle peuplé de désirs refoulés.
Mais les résultats étaient là : cette patiente ne faisait plus de cauchemars, ne tentait plus de se tuer, n’était plus angoissée et avait envie de se concentrer sur son avenir professionnel. Ayant atteint la majorité entre temps, elle voulait sortir de l’hôpital pour vivre sa vie, et n’a plus jamais été hospitalisée : elle a trouvé un travail qu’elle souhaitait faire auprès des animaux, et a trouvé un ami, gendarme.
J’ai ensuite proposé cette méthode en tant que psychothérapeute (2003-2016) à une jeune femme qui avait également subi un viol et était dans une situation comparable à la jeune fille hospitalisée, à cette différence près qu’elle ne commettait pas de tentative de suicide mais était extrêmement déprimée et désemparée.
Je l’ai vue trois fois au cabinet: lors du premier rendez-vous où je lui ai communiqué cette méthode, puis lors du second, une semaine plus tard, où elle avait commencé à noter ses rêves, et le troisième, deux semaines plus tard, où elle ne faisait plus de cauchemar. Il lui avait fallu trois semaines pour s’en débarrasser, en réussissant à affronter et vaincre son violeur. Elle était stupéfaite lors du dernier entretien, répétant « C’est incroyable ! C’est incroyable ! ». Elle n’était plus déprimée du tout, dormait bien, et apprenait à apprécier la vie sans ce lourd couvercle au-dessus de la tête.
Toutefois, dans ces deux contextes, même si les résultats étaient là et que l’objectif visé était atteint, il ne s’agissait pas tant de thérapie que de transmission d’information : il lui suffisait de connaître la méthode,
J’ai inclus un résumé des enseignements des Senoïs tirés du livre de Patricia Garfield, qui se trouve dans le livre « Des systèmes de contrôle ».
Dernier point relatif au chapitre « cauchemars »: en plus de noter mes rêves, j’évite de polluer inutilement mon univers mental avec des films violents: je préfère lire des polars, l’impact émotionnel n’est pas du tout le même. Et globalement je fais plus attention à ce avec quoi je nourris mon intellect.
Quelques éléments complémentaires sur les rêves
1. Un temps de vie augmenté
Ceci dit, une fois débarrassée des cauchemars, j’ai continué à écrire mes rêves. J’ai mis de côté tout ce que je connaissais sur le sujet, y compris la conception freudienne de l’inconscient et les aprioris que je pouvais avoir, pour m’intéresser au seul contenu et repartir sur la base de la seule expérimentation et l’observation de ceux-ci.. Écrire mes rêves était devenu une activité quasi quotidienne, et je découvrais un domaine d’activité de mon espace intérieur que j’ignoirais auparavant.
Devenir plus conscient de ce que nous vivons en rêve donne l’impression de vivre deux fois plus longtemps: au lieu d’un temps de vie éveillée entrecoupé de trous noirs pendant la nuit, il y a ce qu’on vit quand on est éveillé, et ce qu’on vit quand on dort. Une dimension parallèle en quelque sorte. Ceci dit, si nous arrêtons de noter nos rêves, nous cessons de nous en souvenir. Donc cela demande de s’y mettre sérieusement et une certaine discipline.
2. Un langage symbolique spécifique à la dimension des rêves
Le langage des rêves est un langage symbolique: sa logique échappe à la logique rationnelle. Celle-ci n’est pas compréhensible tant que nous tentons d’interpréter ce qui se passe en rêve à travers ce que nous connaissons de la réalité physique. Nous sommes face deux niveaux de réalité différents qui ne fonctionnent pas de la même façon, mais selon des « lois » différentes : les lois du monde physique ne sont pas transposables à celles du monde des rêves.
Les symboles qui peuplent nos rêves ont un sens précis, celui qu’ils représentent pour nous. Un symbole est un signe qui représente quelque chose. Or les symboles ne représentent pas la même chose pour tout le monde, ils n’ont pas un sens qui pourrait être généralisable à tout le monde. De plus, un même symbole peut avoir un sens différent pour nous en fonction de ce que nous vivons éveillés à différentes étapes de notre existence. C’est pourquoi nous sommes les seuls à pouvoir les décoder; personne ne peut le faire à notre place et venir nous dire « Tu as rêvé de telle chose donc cela veut dire telle chose.» Il s’agit d’un langage crypté, que nous sommes seuls à pouvoir décrypter.
La symbolique du rêve correspond au « langage des oiseaux » des anciens: «Le sens des mots dans les rêves est exploré la première fois par le psychiatre Carl Gustav Jung qui, en fondant la mythanalyse, pose que « Si abstrait qu’il soit, un système philosophique ne représente donc, dans ses moyens et ses fins, qu’une combinaison ingénieuse de sons primitifs ». Le mot, en plus d’avoir un sens abstrait est chargé émotionnellement.
Étienne Perrot, continuateur de Jung, fait de la langue des oiseaux et des jeux de sonorités une capacité du rêve d’exprimer de manière parallèle une réalité psychique21 :
« Cette synchronicité, ces écoutes extérieures et intérieures, ces doubles lectures, nous les apprenons donc d’abord dans les rêves. Les rêves nous apprennent à décrypter la réalité. Les rêves, c’est bien connu, prennent très souvent des matériaux de la vie diurne, mais c’est pour nous apprendre à les lire autrement . Cette lecture renferme un élément très important, qui est le décryptage des mots suivant des lois qui ne sont pas des lois causales, mais des lois phonétiques, suivant le mode de formation des calembours. C’est ce qu’on appelle « la langue des oiseaux », et c’est cela, d’une façon précise, ce que les alchimistes appelaient « la gaie science » (Wikipedia, la langue des oiseaux).
3. Des rêves relatifs à des événements futurs
La relecture des rêves permet d’en découvrir des aspects surprenants: Vous vous apercevez parfois en les relisant que certains rêves concernent des événements qui se sont produits après que vous les avez faits, ce que vous ne pouviez savoir au moment où ils ont eu lieu, ni quand vous les avez retranscrits le lendemain.
Pour prendre conscience de cet aspect quand survient l’événement auquel le rêve fait allusion, il faut en avoir gardé le souvenir, ou l’avoir écrit après sa survenue, avec la date. Cette retranscription est alors un élément tangible, objectif, auquel nous pouvons ensuite nous référer pour comparer ensuite les similitudes avec l’événement qui se produit par la suite.
Parfois vous avez oublié que vous aviez fait ce rêve, mais la relecture de sa retranscription sur le cahier permet de s’apercevoir des synchronicités entre celui-ci et l’événement auquel il se réfère.
C’est ce qu’on appelle des rêves prémonitoires. `Tout le monde en fait, il n’y a rien de magique là-dedans, mais si on ne note pas ses rêves, on passe complètement à côté.
Parfois certains rêves reviennent de façon récurrente: ils signalent souvent un aspect dans notre vie éveillée auquel prêter attention. Exemple: je rêve plusieurs fois de suite que je perds mon portefeuille ou mon sac, sans comprendre pourquoi. Jusqu’à ce qu’un samedi soir, arrivant à la caisse au moment de la fermeture, je m’empresse de payer, et j’oublie mon portefeuille. Je l’ai retrouvé le lundi matin à l’accueil. Fin des rêves sur le portefeuille. Mais depuis, je fais plus attention à mon portefeuille.
J’ai également suivi l’indication d’un rêve en 1997 à la mort de William Burroughs, qui était un ami. Nous venions d’avoir internet, et j’avais une documentation importante sur lui que je souhaitais partager avec d’autres gens, quand je suis tombée sur un mémorial qui lui était consacré aux États-Unis, dans lequel s’exprimaient de nombreux lecteurs. La nuit suivante, j’ai rêvé que j’envoyais de nombreux messages à des gens, sous la conduite d’un instructeur. Le lendemain, j’ai commencé à envoyer à des participants à ce mémorial un message dans lequel je proposais de leur envoyer gratuitement les plans d’une dreamachine que j’avais réalisée[2] : il s’agissait d’une machine mettant le cerveau en odes alpha, inventée au départ par Brion Gysin et William Burroughs et utilisée en méditation; mes plans étaient différents des plans originaux et accessibles à tous.
En l’espace de quelques jours, environ 300 personnes ont répondu favorablement. Je leur ai donc envoyé les plans, suite à quoi ils m’ont envoyé en retour ce qu’eux avaient fait de leur côté sur Burroughs (écrits, musiques, collages, etc.). C’est ainsi qu’est né Interzone, le réseau burroughsien que j’ai animé jusqu’en 2013. Il comprenait surtout des Américains, très peu de gens en France, où Burroughs est moins connu.
Mais parfois ces rêves prémonitoires concernent des détails infimes: nous allons rêver d’une image ou d’une scène que nous allons voir peu après à la télévision, ou dans la rue, etc. Un jour j’étais chez moi en train de faire la vaisselle quand le souvenir du rêve de la nuit précédente m’est revenu: j’étais en compagnie d’un instructeur qui me montrait moi devant l’évier le lendemain en train de faire la vaisselle. Je suppose que c’était un cours accompagné d’un exercice pratique sur les liens et les articulations entre le monde éveillé et le monde du rêve.
Certains rêves sont reliés les uns aux autres : ils se situent dans le même endroit spécifique aux rêves, ou continuent la suite d’une histoire qui se déroulait dans un rêve précédent, comme les épisodes d’une série télévisée.
Ainsi, les rêves peuvent avoir aussi une fonction complémentaire à la vie éveillée: certains contiennent des informations, des conseils, des indications sur des lignes à suivre en fonction des situations que nous vivons ou que nous vivrons dans le futur.
Une partie du livre de P. Garfield traite aussi des rêves lucides, mais je ne peux pas en parler, n’en ayant que peu d’expérience. Le grand spécialiste des rêves lucides était Hervey de Saint Denys[3]. Un rêve lucide consiste à devenir conscient qu’on rêve au moment où on rêve, et à pouvoir en diriger le cours. Cela m’est arrivé deux ou trois fois, mais je n’apprécie pas spécialement ce genre de rêves : je n’ai pas envie d’en contrôler la suite, préférant laisser au dit «Inconscient » l’écriture du scénario, parce que je sais qu’il est en fait bien plus conscient que ce que ma conscience personnelle peut en appréhender et que celle-ci limite le contenu du rêve. En outre la prise de conscience de mon corps couché en train de rêver parallèlement s’accompagne d’une sensation de lourdeur qui me déconnecte de l’impression de légèreté spécifique au rêve.
Qu’est-ce qui se passe là exactement ? Nous n’en savons rien, allons voir
Quand nous dormons, notre corps repose sur notre lit, mais en rêvant, nous vivons des événements donnés, éprouvons des impressions, des sensations, etc., précises, parfois vivaces et réalistes dont nous gardons le souvenir une fois réveillés et qui peuvent alors nous parasiter dans le cas des cauchemars, ou inversement qui nous laissent le souvenir d’un temps de repos, de détente, et qui constituent une pose quand nous vivons des événements pénibles et éprouvants dans notre vie de tous les jours.
Au cours des rêves, nous pouvons réaliser des choses impossibles dans la vie physique, comme nous envoler, passer sans transition d’un endroit à un autre, y rencontrer des gens disparus que nous aimons et continuer de partager des moments avec eux, visiter des endroits où nous nous sentons bien, etc.
Ainsi, le monde du rêve se situe dans une autre dimension, indépendante des lois de notre monde physique. Apparemment, notre organisme est aussi conçu pour accéder à cette dimension: tout le monde dort, le sommeil nous est indispensable, ainsi que les rêves, même si nous ne nous en souvenons pas. Autrement dit, il n’y a rien de plus naturel que de dormir et de rêver. Les chiens et les chats, entre autres, rêvent aussi.
Cette question de compréhension en termes de physique est importante, elle évite l’écueil suivant: face à des événements que nous ne comprenons pas, nous pouvons être amenés à douter de nous-mêmes, ou à nous poser des questions sur notre santé mentale: « Si ce que je vis est incompréhensible et «impossible », c’est que je deviens fou. » Grossière erreur ! Là encore, rien ne vaut la confrontation aux faits pour résoudre le problème:
Je fais tel rêve à une date 1. Il se réfère à un événement survenu à une date 2, ultérieure, ce que j’ignore au moment où je fais ce rêve. Ce n’est que plus tard, quand l’événement auquel il se réfère aura eu lieu, que je pourrai m’en rendre compte. Quand je le réalise, je suis confrontée à un phénomène inconnu, dont la compréhension m’échappe.
Je peux réagir de plusieurs façons devant cette confrontation à l’inconnu (et à mon ignorance) :
- Je peux avoir peur, occulter ce que je constate ou décider de ne pas en tenir compte, mais cela ne règle rien.
- Je peux en déduire des conclusions fausses : « Je deviens fou. », ou penser que je suis face à un événement « surnaturel ». En réalité, il est aussi naturel de rêver que de dormir ou de manger. Il s’agit d’une fonction comme une autre de notre organisme, à cette différence près que nous en ignorons davantage à son sujet que ce que nous en connaissons, etc.
- Je peux aussi décider de me confronter au phénomène et d’aller voir ce qui se passe là en m’attachant uniquement aux faits, aux faits, aux faits, les observer, les décrire et prendre le temps de voir ce qu’il en ressort, les comparer avec d’autres rêves, avant d’en déduire quoi que ce soit.
Ainsi, si je peux lire le compte rendu du rêve daté, ce compte-rendu est bien réel ; il témoigne du fait que j’ai bien fait ce rêve à ce moment précis, et que l’événement ultérieur auquel il se réfère, qui s’est produit ensuite dans le monde physique, a bien eu lieu. J’en déduis alors qu’il y a de grandes chances pour que mon cadre de compréhension, qui me fait considérer ce que je vis là comme « impossible », ainsi que ma vision de « la réalité », ne soient pas adaptés. Dans ce cas il convient de les remettre en question en cherchant d’autres cadres de compréhension plus similaires aux faits et susceptibles d’y apporter des explications plus satisfaisantes.[4]
Or ce qui nous pose problème ici, c’est que nous appréhendons le monde du rêve avec les lois du monde physique que nous connaissons, ou avec des théories psychologiques nées au XIXème siècle. Ces grilles d’explications limitent et faussent doctrinalement notre vision de la réalité et sont scientifiquement en grande partie dépassées. Le monde du rêve et le monde physique ne fonctionnent pas de la même façon; le premier est indépendant des lois physiques, il obéit à d’autres lois.
William Burroughs disait qu’une des fonctions des rêves consiste à nous faire voyager sur notre propre trajet temporel, passé, présent et futur. C’est incompréhensible selon les lois du monde physique, mais cela devient plus clair en introduisant cette notion de dimension parallèle qui n’était pas inclue comme donnée auparavant dans notre façon de poser le problème. D’où l’importance de prendre en compte d’une part le résultat de nos observations personnelles et d’autre part les données scientifiques de notre époque, qui peuvent nous permettre d’avancer à partir d’une démarche basée sur l’observation des faits, leur description, l’élaboration d’hypothèses et l’expérimentation, ce que chacun peut faire en écrivant ses rêves. En appréhendant ceux-ci non plus à travers les paramètres de la vision rationaliste héritée du XVIIème siècle, mais de ceux du XXIème, ce qui était incompréhensible auparavant dans le cadre des paradigmes scientifiques précédents peut devenir compréhensible.
En conclusion, je vous communique cette méthode parce qu’elle m’a rendu service, mais ce n’est pas « ma » méthode. Je ne suis pas une « spécialiste » des rêves: j’ai seulement eu la chance de tomber au bon moment de mon existence sur les informations qui m’ont permis d’aborder ce domaine avec curiosité et intérêt, de les utiliser efficacement dans ma vie éveillée, et la constance de continuer à les noter depuis 39 ans.
D’après ce que j’ai pu constater, elle s’est montrée aussi efficace pour les personnes de ma connaissance qui l’ont appliquée. Ceci dit, je ne suis pas anthropologue, je ne connais pas la culture des Senoïs hormis ce que j’en ai lu dans le livre de Patricia Garfield, et je n’ai aucune croyance la concernant, ni en ce qui concerne les rêves: ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les croyances de quelque ordre que ce soit, mais de pouvoir comprendre, dans la mesure de mes possibilités, ce qui se passe là exactement. Ce qui m’importait quand je l’ai découverte était de voir si elle permettait vraiment d’éliminer les cauchemars et si elle était efficace. Je la considère comme un outil utile, pratique et naturel, qui a le mérite de pouvoir être utilisé par tout le monde, gratuitement, sans avoir besoin de quiconque pour le faire, et sans autre prétention. Quant aux autres éléments donnés ici sur les rêves, ils proviennent de mes propres observations, qui sont limitées à l’expérience que j’en ai, lesquelles n’engagent que moi, et ne sauraient tenir lieu de vérité.
A partir de là, il appartient à chacun de faire ensuite sa propre expérimentation et sa propre recherche s’il le souhaite. Même s’il y a longtemps que je note mes rêves, je n’en ai exploré que certains aspects. D’autres observateurs ont orienté leurs recherches sur des niveaux que je n’ai qu’entrevus, tels les rêves lucides. Mais peut-être sommes-nous face à un territoire bien plus vaste que ce que nous sommes en mesure d’en appréhender. La recherche est ouverte, elle fait partie de la découverte et de l’exploration de notre espace intérieur, elle est à la portée de chacun.
Notes
[1]. Nous étions infirmiers de secteur psychiatrique dans un hôpital public.
[2]. Voir la page Machine à rêver/Dreamachine qui rassemble les informations à ce sujet dans le site Interzone Éditions, ainsi que le dossier Dossier dreamachine / machines à rêver (12 janvier 2020) lui est consacré.
[3]. Voir Léon d’Hervey de Saint Denys, Les rêves et les moyens de les diriger en ligne sur Wikisource.
[4]. Voir à ce sujet dans le blog Pour une économie non-aristotélicienne les articles suivants : 2. La démarche des mathématiciens (8 décembre 2010), 3. Application de la démarche des mathématiciens en économie (21 décembre 2010) et Alfred KORZYBSKI: Démarche des mathématiciens: Extraits du « SEMINAIRE DE SEMANTIQUE GENERALE 1937 (janvier 2011). J’ai procédé en appliquant cette démarche au domaine du rêve, tout comme je l’ai fait en économie.